VENOMIC PROJECT : Trip To Polynesia

VENOMICS à Tahiti

A la recherche des Conidae de Polynésie Française

David Touitou et Pierre Escoubas, 2013

English translation and more pictures can be found in the TCC (The Cone Collector), issue n°23

TV report (UTUBE) N°1 French:  POLYNESIE 1
TV report (UTUBE) N°2 french: TNTV 

 Un article est également paru dans la revue de l'A.F.C. (XENOPHORA), N°144

Left : Conus retifer, Makemo (XENOPHORA cover), Right : Conus episcopatus, Tahiti (TCC cover)

 

 

Introduction

                27 Avril 2013: nous partons enfin pour Tahiti ! L'équipe de VENOMICS est reconstituée, cette fois pour une deuxième mission "cônes" en Polynésie Française. Pierre Escoubas (VenomeTech) et Frédéric Ducancel (CEA Saclay) sont les scientifiques de l'équipe. Ils sont accompagnés comme l'an dernier par David Touitou, pharmacien et collectionneur expert en CONIDAE et grand spécialiste de la collecte sur le terrain, et par son ami Michel Balleton autre expert ès cônes, qui lui, réside à Tahiti et nous guidera sur place. Et bien d'autres nous aideront dans cette mission comme nous le verrrons !

 

                Après l'aventure de Mayotte en 2012, pourquoi cette destination ? Le projet VENOMICS est en plein essor, après déjà 18 mois de travail par les membres du consortium. Les analyses des premiers venins ont donné des résultats déjà passionnants, et il faut maintenant passer à la vitesse supérieure et alimenter la banque d'échantillons qui servira à l'identification des molécules de venin qui pourront peut-être un jour devenir des médicaments innovants. Les cônes représentent une partie importante de cette banque et les échantillons collectés à Mayotte en 2012 ne suffiront pas. De nouvelles espèces doivent entrer dans le flux de travail et la mission de Pierre, Fred et David cette année est de ramener au moins 20 à 30 nouvelles espèces de cônes. Donc, après avoir élaboré divers plans, c'est la Polynésie Française qui a finalement été sélectionnée par Pierre et David comme destination de collecte. Deux raisons principales: la bonne connaissance qu'en a David qui a vécu à Moorea durant quatre années et possède des contacts locaux, et la possibilité d'obtenir les autorisations nécessaires des autorités Polynésiennes et Françaises. Ceci représente en effet le goulet d'étranglement de la logistique: il est devenu difficile voire impossible d'obtenir des permis pour des pays tiers, et nous avons la chance d'avoir en France une grande diversité de biotopes dans les DOM-TOM et surtout une énorme surface de récifs coralliens. Donc cap sur Tahiti en 2013 !

Après que Pierre ait obtenu du gouvernement de Polynésie les autorisations de collecte, et mis en place toute la logistique de la mission, c'est le grand départ après plus de 6 mois de préparation. Fred et Pierre qui ne se sont jamais rendus en Polynésie trépignent d'impatience de découvrir ces lagons mythiques ! Le "plan de bataille" élaboré par David nous emmènera cette année de Tahiti à Moorea puis aux Tuamotu. Deux semaines de mission cela reste très court et il ne nous est pas possible de visiter tous les archipels de Polynésie. Nous avons donc décidé en plus de l'archipel de la Société de visiter l'atoll de Makemo qui a une position centrale dans l'archipel des Tuamotu et où il existe un club de plongée. Nous ne pourrons malheureusement nous rendre aux Marquises, aux Australes ou aux Gambiers pendant cette mission.



Polynésie : Atoll de Makemo

Localement, l'équipe sera renforcée cette année par Michel Balleton, un expert en malacologie et ami de David qui réside à Tahiti. Son rôle sera crucial: Michel connait avec précision les sites de collecte car il vit à Tahiti depuis 40 ans. De plus il est l'un des piliers d'un projet commencé voici 8 ans et visant à élaborer un ouvrage de référence pour l'ensemble des coquillages de Polynésie. Un travail titanesque qui inclut outre les gastéropodes, les bivalves, les micro coquillages et les nudibranches. Le livre devrait sortir dans quelques mois et nous l'attendons avec impatience.

                Même si la faune malacologique de Polynésie comprend plus de 70 espèces de CONIDAE, il faut soustraire à notre liste potentielle les espèces endémiques de l'archipel des Marquises (Conus gauguini, C. marchionatus, C. vautieri, C. textilinus, C. encaustus), les espèces des profondeurs (C. moluccensis, C. aff. circumcisus en cours de description) et celles rencontrées exceptionnellement (C. auricomus, C. aureus, C. arenatus, C. acutangulus, C. litteratus, C. emaciatus, C. tenuistriatus, C. glans, C. mitratus, C. granum, C. geographus, C. eldredi, C. bullatus, C. auratinus et C. aurisiacus). La mission vise donc à récolter une trentaine d'espèces au maximum pour le projet et le nombre total d'espèces de cônes que nous pouvons espérer rencontrer ne dépassera pas la quarantaine.

L'essentiel de la collecte est prévu sur les récifs frangeants, les récifs barrière et dans les lagons. La pauvreté de la pente externe ne justifie pas que l'on y plonge en bouteille, pour y trouver avec certitude une seule espèce supplémentaire (Conus legatus) sur des spots bien précis, et ce n'est pas notre objectif. En effet les cônes "communs" de Polynésie nous suffiront dans la recherche de molécules innovantes car leurs venins n'ont jamais été étudiés en profondeur comme nous le faisons dans le projet VENOMICS.

                Enfin, lorsque nous décrivons nos collectes, une question nous est souvent posée par les collectionneurs que nous croisons depuis notre mission à Mayotte: est-il possible de prélever les glandes à venin sans casser les coquilles ? Si la réponse est théoriquement oui (il est possible parfois d'anesthésier l'animal pour le faire sortir), dans notre cas cette destruction est malheureusement nécessaire. En effet deux types d'études différentes sont menées sur les échantillons récoltés. Nous étudions d'une part le transcriptome (les ARN) à partir du tissu de la glande à venin; et d'autre part le venin lui-même. S'il est possible de congeler l'animal, puis de l'extraire de sa coquille, sans altérer la qualité de l'échantillon de venin (les molécules sont très stables), ce n'est pas le cas pour les ARN qui sont des molécules très fragiles. Le tissu de la glande doit être prélevé très rapidement sur le mollusque vivant et il est donc impératif de briser la coquille pour disséquer le tissu en quelques secondes et le placer dans un liquide de conservation qui permettra son transport. David aura donc cette année encore la lourde tâche de casser tous les cônes prélevés ! Mais son âme de collectionneur a été endurcie par l'expérience de Mayotte et cette année il maniera la massette avec moins de nervosité !

Abréviations utilisées dans le texte

P.M.T. = Palme Masque Tuba

I.R.D. = Institut de Recherche pour le Développement (anciennement ORSTOM)


Polynésie : île de Moorea (Maharepa)

 

Samedi 27 avril 2013

                Départ de Nice, pour David et Pierre, par le vol Nice-Paris. Enregistrement un peu long des 80kg de bagages de Pierre qui outre son matériel de plongée doit emmener un "labo portable" constitué de deux malles de 20 kg ainsi que >10 kg de matériel photo et vidéo. Nous montons dans l'avion mais juste avant le décollage, un appel retentit : "Mr David Touitou est prié de se présenter rapidement à l'un des membres d'équipage"… Inquiétude: que peut-il bien arriver ? En fait David a oublié sur un siège son phare de plongée près de la place de Pierre… Il s'en est fallu de peu qu'on ne lui détruise sa mallette ! Il récupère son précieux phare HID et l'avion décolle. Frédéric Ducancel nous retrouve a Roissy vers 18h00, l'équipe est enfin au complet et le grand départ est prévu pour 19h10.

Dimanche 28 avril

                Après un vol très long mais sans histoire, arrivée à Tahiti à 05h30 heure locale. Michel Balleton est là pour nous accueillir avec de superbes colliers de fleurs (il est venu de la presqu'île et s'est levé à 4h00 du matin…), et malgré le masque de plongée plaqué sur le visage de David, il le reconnait aisément… Nous sommes donc déjà dans l'ambiance Tahitienne, et après les formalités douanières et de location de voiture nous filons prendre possession de nos appartement situés au centre IRD d'Arue. Bâtiment posé au bord de l'eau, végétation luxuriante: le décor est superbe. La douche tant attendue permet à tout le monde de se réveiller et à 07h00 nous sommes sur le pied de guerre ! Le premier contact avec la Polynésie sera cependant le magasin Carrefour d'Arue… une chance qu'il soit ouvert ce dimanche matin. Il faut en effet faire quelques courses pour l'intendance et planifier ensuite avec Michel les sorties pour les jours suivants autour d'un café qui est le bienvenu. Il est 9h30.

Michel nous quitte vers 11h00 et nous partons vers la plage de sable noir du Taaone avec Fred et Pierre pour une séance snorkeling afin de ne pas tomber dans le piège de la sieste et du décalage horaire. Et puis tout comme à Mayotte nous sommes plus qu'impatients de mouiller les combinaisons et de trouver nos premiers cônes ! Mais Le récif frangeant ne présente aucun intérêt et nous ne nous y attardons pas. Une vingtaine de minutes de palmage sera alors nécessaire pour traverser le profond chenal et atteindre le récif barrière. Nous ne connaissons pas la zone et nous nous fions au flair de David… La première zone après le chenal est composée de débris coralliens mélangés à du sable grossier et ne semble pas propice à la découverte des CONIDAE. Mis à part les nombreuses porcelaines C. obvelata, c'est un désert. Nous trouvons cependant nos premiers cônes, mais en petite quantité: Conus aristophanes, C. pulicarius, C. lividus, C. sponsalis, C. nanus et C. vitulinus sont collectés. Nous ne rentrerons donc pas bredouilles. David propose alors que la troupe se dirige vers le récif barrière qui se trouve encore à plus de 200 mètres de la première halte. Les crampes se font sentir, le voyage a été long et les muscles sont raides. Le fond est maintenant parsemé de patates de corail vivant que l'on ne peut fouiller mais le sable est beaucoup plus fin ce qui laisse à penser que le choix du site est bon, nous pouvons maintenant espérer croiser des espèces plus nobles comme C. textile, C. canonicus ou C. episcopatus.

Rapidement David met la main sur un premier spécimen de Conus textile. On ne peut s'empêcher d'admirer les motifs délicats que le test de cette espèce offre à nos masques, le moral des troupes monte en flèche. C'est un bel échantillon et nous n'avons pas collecté cette espèce lors de la précédente mission. David trouvera pas moins de 8 spécimens (ainsi que de nombreux morceaux éparpillés, signes de luttes nocturnes récentes), et Fred et Pierre commencent à devenir jaloux ! Par chance, David met également la main sur un joli Conus striatus, ensablé sous une plaque de corail mort. L'expérience du collectionneur a parlé: David est vraiment le maître de la collecte des cônes. Mais la mission n'est pas finie…

 

Conus textile de Tahiti

Malgré tout, relativement peu de cônes sont collectés : Conus lividus, C. pulicarius, C. distans (sur le sommet du récif) et C. vitulinus. Sur le chemin du retour, Pierre tombe sur un magnifique Conus tulipa "fresh dead" en parfait état, espèce difficile à dénicher vivante de nos jours sur Tahiti.

Nous rencontrons aussi des spécimens de mollusques vivants appartenant à d'autres familles mais toujours en petite quantité : Cypraea obvelata, C. moneta, C. fimbriata, C. caputserpentis, Terebra guttata, T. crenulata, T. affinis, Oliva sp., quelques drupes, de petits strombes et quelques mitres.

Après trois heures de P.M.T., nous décidons de rentrer, car il faut un peu se ménager après plus de 20 heures de vol et 12 heures de décalage horaire. Nous regagnons l'IRD ou nous inventorions la récolte et commençons les dissections. Il est important de rester à jour car les échantillons vont rapidement s'accumuler. Même si la récolte à Tahiti semble plus difficile qu'à Mayotte, la première journée (et l'efficacité de David) montre que nous devrions pouvoir accumuler pas mal de spécimens en 15 jours.

 

Dissection dans les locaux de l'I.R.D d'Arue

Lundi 29 avril

                La journée commence par une prise de contact avec nos collègues de l'IRD et l'installation dans un laboratoire mis à disposition. Cette aide nous sera extrêmement précieuse car les conditions de travail à Tahiti seront absolument optimales: paillasses, table, réfrigérateurs, etc. sont vraiment indispensables et un labo de "terrain" n'offre jamais les mêmes facilités au risque d'une dégradation des échantillons comme Pierre en a fait l'expérience en Guyane. Donc le soutien de l'IRD à la mission sera l'un des facteurs clé de succès. Après avoir finalisé les formalités et achevé la dissection des cônes de la veille, nous partons collecter de nouveaux spécimens. Mise à l'eau cette sur la pointe Pomare V, proche de l'IRD.

Nous ne nous attardons pas sur le petit récif frangeant qui se termine par un tombant abrupt, et nous traversons le profond chenal pour arriver sur le récif barrière. Petit pincement au cœur en pensant à la possibilité de croiser un requin patrouillant le "bleu" car on ne voit pas le fond du chenal. C'est toujours un soulagement après plusieurs minutes à palmer dans le grand bleu de revoir le fond ! De l'autre côté, nous sommes accueillis par une "forêt" d'anémones colorées abritant des myriades de petits poissons tropicaux. Quelques grosses dalles sont posées six mètres plus bas sur un petit plateau sablonneux au pied d'une balise de chenal. David décide de tester la zone rapidement car sans plombs, les apnées en combinaison sont pénibles. La deuxième dalle révèlera un joli Conus textile, le seul de la journée. Nous poursuivons notre recherche en direction du sommet du récif. La zone est pauvre en mollusques, nous collectons Conus lividus, C. rattus, C. coronatus et C. pulicarius en suivant les traces laissées dans le sable puis un Conus distans très encroûté près du haut du récif. En collectant, Fred aura la chance de croiser trois requins pointe noire au grand dam de Pierre qui rêve de voir les requins de Tahiti mais n'en a pas encore aperçu un seul !

 

Champs d'anémones du récif barrière

Après deux heures de recherches nous retournons vers le bord et nous nous attardons cette fois sur le récif frangeant. Pas mal de cônes communs s'y trouvent : Conus lividus, C. nanus, C. miles, C. sponsalis, C. rattus, C. sugillatus, et C. miliaris. David, toujours en quête d'autres raretés malacologiques, aura la chance de trouver une Cypraea teres "fresh dead" puis trois magnifiques Cypraea lynx fraîchement mortes posées au même endroit, surement l'œuvre d'une pieuvre.

C'est l'heure d'une pause sandwich, puis nous partons pour un autre spot, la pointe Vénus. Mise à l'eau depuis le parking puis nous partons en direction du récif. Même constat, la zone est assez pauvre. David part seul jusqu'au récif barrière mais plus il s'en approche et moins il rencontre de cônes, c'est décevant. Le long du trajet, il ne trouvera que trois espèces: Conus lividus, C. vitulinus et C. pulicarius. Rejoint par Pierre et Fred, le groupe passe ensuite un peu de temps sur le récif frangeant et trouve quelques spécimens de Conus lividus, C. miliaris, C. sponsalis, C. sugillatus, C. vitulinus, C. rattus, C. eburneus, C. ebraeus, et C. pulicarius. Fred aura la chance de faire à nouveau une belle rencontre: une énorme raie pastenague. Après plusieurs heures passées dans l'eau il est temps de rentrer au laboratoire et la fin de l'après-midi est dédiée à la dissection des deux récoltes du jour. Impression des deux premiers jours de collecte: beaucoup plus difficile qu'à Mayotte, il faut les mériter ces échantillons ! Cependant, malgré le sentiment de trouver moins d'individus, une fois le compte fait le bilan n'est pas mauvais. En deux jours nous avons déjà trouvé 12 espèces et collecté près de 70 cônes. Les choses se présentent donc plutôt bien.

Mardi 30 avril

                Départ aux aurores (06h00) pour rejoindre nos deux experts Michel Balleton et Patrick Marti à la presqu'île pour une "journée bateau". Après une heure et quart de voiture nous voilà arrivés au mini port de Pueu. Nos deux passionnés ont déjà mis le bateau à l'eau et dix minutes plus tard nous mouillons l'embarcation près d'un récif. Tout le monde se met à l'eau, aujourd'hui nous sommes cinq dont trois experts malacologistes ! Dès les premiers coups de palme nous pressentons que la zone est riche. Rapidement David trouve Conus textile et Conus tessulatus puis deux jolis Conus canonicus cachés sous des dalles de corail mort. Mais l'espèce dominante est de loin Conus imperialis, dont de nombreux individus sont collectés, posés dans les coraux. L'équipe se rapproche peu à peu du récif où la profondeur est très faible mais le courant fort. Nous luttons pour rester en place et sans les grattoirs de jardin achetés à Carrefour, qui permettent de s'accrocher aux corail mort, on est vite entraîné par une vague et ramené en arrière de plusieurs mètres. Il faut à nouveau palmer plusieurs minutes pour progresser, c'est très physique ! David trouve de nouveau Conus canonicus puis Conus episcopatus qui est localement peu fréquent. Nous voyons aussi des coquillages d'autres familles et il est fort agréable de voir de la vie sous les morceaux de corail mort, cela contraste fortement avec nos explorations des deux jours précédents, le biotope est riche. Plusieurs nouvelles espèces sont collectées sur ce site dont Conus lithoglyphus, C. sanguinolentus, C. moreleti, C. distans ainsi qu'un gros Conus striatus. La pêche est bonne !

 

Conus canonicus de la presqu'île de Tahiti

De retour sur le bateau après 3h30 de P.M.T. nous trions et comparons nos récoltes. Michel nous a trouvé de beaux Conus vexillum et un Conus obscurus (ce qui permet enfin à David de voir l'espèce vivante). Patrick a récolté un joli spécimen d'une espèce assez rare: Conus magnificus. Pierre et Fred, eux ont récolté de nombreuses espèces déjà citées plus haut, forts maintenant de leur expérience acquise lors de notre mission à Mayotte. Ils sont aguerris et ont rempli leurs boîtes respectives. C'est une bonne collecte, bien que les conditions soient relativement fatigantes en raison des vagues et du courant.

Après une courte pause nous filons vers un autre spot de collecte, proche du premier. C'est là tout le bénéfice de la présence de Michel à nos côtés: il sait quels sont les lieux propices et surtout il a conscience que d'un côté à l'autre du récif, quelques centaines de mètres peuvent faire une grosse différence. La biodiversité est variable sur les différentes zones du récif. La deuxième zone est ainsi plus calme et la marée basse ne permet plus à l'océan de se déverser aussi violemment dans le lagon. La biodiversité est ici un peu moindre mais en deux heures nous collectons bon nombres d'espèces : Conus textile, C. distans, C. miles, C. lithoglyphus, C. terebra, C. flavidus, C. frigidus, C. lividus, et C. moreleti. Fred a eu l'excellente idée de brosser les algues du haut du récif, ce qui lui a permis de trouver plusieurs spécimens de Conus miles.

 

Conus imperialis de la presqu'île de Tahiti

 

David est aux anges car il a enfin pu observer Conus obscurus vivant, et en a récolté pas moins de quatre spécimens ! C'est la première fois qu'il rencontre l'espèce, précédemment cherchée à Tahiti puis aux Seychelles ainsi qu'à Mayotte sans résultat. Son âme de collectionneur est donc comblée par cette découverte (qui bien entendu laisse totalement indifférents nos deux chercheurs, uniquement préoccupés par la collecte d'espèces communes). Ce site nous offre également un joli Conus coffeae fraîchement mort puis deux vieux cônes morts : Conus tulipa et C. terebra. Pas intéressant pour le projet VENOMICS mais nous sommes toujours intéressés par le recensement des espèces existantes, et les cônes morts restent l'indication de la présence de nouvelles espèces à collecter.

Premier bilan : 31 espèces de CONIDAE rencontrées au total dont 29 vivantes et déjà plusieurs espèces ont été collectées en nombre suffisant et ne seront donc plus ramassées par la suite. La mission s'annonce déjà comme un succès potentiel, ce qui rassure Pierre et Fred, en effet l'investissement pour venir à Tahiti est conséquent et ils ont une obligation de résultat. Quelques espèces classiques manquent encore à l'appel, comme Conus leopardus, C. chaldeus, C. quercinus et C. virgo mais nous comptons bien sur le talent de nos collectionneurs pour les dénicher. Nous apprenons par Michel que Conus bandanus est devenu rare et qu'on n'a plus trouvé Conus emaciatus depuis fort longtemps. Tant pis, les autres espèces devraient être présentes en quantités suffisantes.

 


Conus episcopatus (young specimen) from Tahiti

Mercredi 01 mai

                La matinée est chargée et Pierre a le sentiment d'être revenu en France, soumis à la pression habituelle: tout d'abord traitement des échantillons d'hier, filmé par une équipe de la télévision locale Polynésie Première et doublé d'une interview de l'équipe. Le reportage sera diffusé le même soir au journal du soir de 19h00 (ainsi qu'en Métropole sur France 3). Puis aller-retour à l'aéroport pour préparer l'envoi de deux malles contenant le matériel de labo vers notre prochaine destination : Makemo. Mauvaise nouvelle, dimanche matin il faudra venir déposer les malles à 04h00 du matin pour un départ de l'avion après 07h00… Il a fallu également préparer un communiqué de presse annonçant notre conférence de vendredi, confirmer le retour des malles des Tuamotu, et gérer tous les problèmes de logistique. Et Pierre a du en catastrophe, donner une interview téléphonique pour Radio 1, une radio locale. C'est donc la course. L'après-midi nous continuons de traiter les échantillons puis allons réserver à la toute nouvelle gare maritime de Papeete notre traversée de jeudi pour Moorea et enfin louer du matériel de plongée à la marina d'Arue pour la plongée de nuit prévue ce soir. Beaucoup d'allers-retours, une journée sans collecte mais bien occupée !

A 17h00, départ pour la presqu'île ou nous rejoignons vers 18h00 au spot habituel nos deux spécialistes, Patrick et Michel pour une plongée nocturne sur le sable. Leur petit bateau ne permettant pas d'embarquer cinq plongeurs et leur matériel, Michel déposera de nuit Pierre et Fred sur une plage et viendra rechercher ensuite Patrick et David. Dix minutes de bateau plus tard et le groupe est au complet. C'est une grande première pour Fred qui effectue sa première plongée de nuit; Pierre et lui sont seuls sur la plage, complètement équipés, la nuit est assez noire mais ils sont impatients de se mettre à l'eau ! Pierre a déjà eu l'occasion de plonger la nuit et a adoré cette expérience unique. Fred n'ayant pas l'expérience de ce type de plongée, ils décident de fouiller la zone des 5 à 10 mètres alors que Patrick, Michel et David partent pour la zone des 10-20 mètres. Toute la zone est constituée de sable parfois parsemé de débris coralliens et de patates de corail éparses. Nous espérons rencontrer les espèces de sable dont nous n'avons pas ou peu de spécimens comme Conus eburneus, C. virgo, C. quercinus et C. tessulatus.

Mais un incident fâcheux arrive à Michel, sa lampe tombe en panne et de fait il doit remonter sur le bateau après seulement une quinzaine de minutes d'exploration. Le reste du groupe continue et se régale ! Les cônes sont de sortie et chaque coup de palme permet d'en récolter, en rampant sur le sable. C'est magique, le faisceau de la lampe révèle de nombreux animaux, c'est tellement plus facile que de fouiller chaque centimètre carré du récif de jour ! Encore fallait-il connaître l'endroit, c'est grâce à l'expérience du terrain de Michel que nous pouvons faire cette belle récolte. Après une heure de plongée, Fred et Pierre retournent au bateau avec de nombreux Conus quercinus, C. eburneus et C. textile.

Au total ce seront pas moins de 50 cônes qui seront remis à l'eau tellement les populations sont abondantes ! Nous aurions pu ce soir-là sans doute collecter plusieurs centaines d'animaux. Mais nous sommes vigilants sur ce point et ne collectons que ce dont nous avons réellement besoin. L'avantage des techniques de pointe que nous utilisons est de ne nécessiter que peu d'animaux ce qui nous permet de conduire nos investigations sans dépléter les populations ou endommager l'écosystème.

Patrick et David font surface au bout d'une heure cinquante minutes, ce qui leur a laissé le temps d'explorer une large zone, tout d'abord le fond de la baie par 18 mètres puis une zone plus proche du bord dans une dizaine de mètres d'eau. Nous avons pu noter la présence en quantités très importantes de Conus eburneus de petite taille (15mm pour 90% d'entre eux), d'un seul Conus tessulatus, un seul Conus leopardus, une dizaine de Conus quercinus, deux Conus textile, ainsi que d'un morceau de Conus bullatus de belle taille. Bien évidemment d'autres familles comme les OLIVIDAE, TEREBRIDAE, MITRIDAE et COSTELLARIIDAE sont présentes.

Michel ramène d'abord Pierre et Fred à la marina et en attendant qu'il revienne les chercher pour le deuxième voyage, Patrick et David évoluent dans les premiers mètres histoire de ne pas rester inactifs. C'est alors que le phare de David éclaire une magnifique Harpa major évoluant à grande vitesse sur le sédiment tout près du bord dans un mètre cinquante d'eau !!! Cette espèce est très rarement observée vivante en Polynésie et Michel (40 ans en Polynésie) n'en a effectivement jamais croisé auparavant ! Idem pour Patrick. David se dirige alors vers Patrick qui se trouve à une cinquantaine de mètres, afin de partager cette découverte et en chemin croise alors trois autres spécimens en virée nocturne ! Incroyable ! Cette espèce est censée sortir du sédiment dans lequel elle s'ensable pour de courts moments avant de s'ensabler à nouveau, d'où le peu de chances de la croiser la nuit. Ce sera en tout cas pour notre collectionneur une rencontre inoubliable. Il faut maintenant trier les échantillons, ranger le matériel, puis reprendre la route pour plus d'une heure. Retour au campus de l'IRD à 23h00, la journée a été longue ! Et demain il faut se lever tôt. Décidément à Tahiti, on n'est pas en mode loisirs…

 

 

Jeudi 02 mai

                Un réveil matinal à 03h00 permet à David qui a du mal a récupérer du décalage horaire d'échanger quelques emails en attendant que tout le monde se lève. Le décalage horaire (+12h) ainsi que le manque cruel de sommeil depuis notre départ, l'affaiblissent de jour en jour, le rythme effréné de la mission n'aidant pas bien entendu. Pierre et Fred, eux, font des nuits complètes. Fred est un grand sportif qui s'endort rapidement le soir et se lève le matin immédiatement d'attaque, quant à Pierre, grand voyageur et habitué des déplacements au bout du monde, il a amené son flacon de mélatonine…

Michel nous rejoint et nous prenons ce matin le ferry pour Moorea, où David a vécu de 2002 à 2006. C'est un retour émouvant pour lui. Nous rendons d'abord visite à la Maman de son épouse Nicole, dont la maison nichée dans une végétation luxuriante, et entourée d'un magnifique jardin rempli de bougainvillées en fleurs domine l'île et offre un panorama éblouissant. Nous en profitons pour visionner notre passage au journal télévisé diffusé la veille et sommes agréablement surpris de la qualité du reportage. C'est une opération de communication très réussie et nous nous apercevrons au fil de notre séjour que le reportage, diffusé plusieurs fois aura été vu par de très nombreuses personnes à Tahiti, mettant en valeur VENOMICS et notre travail sur les cônes. Séance de photos souvenir avec la famille et nous reprenons la voiture pour aller travailler. Moorea offre de splendides paysages et l'arrêt au belvédère juste après le ferry aura permis à Pierre le photographe d'immortaliser la carte postale typique de la Polynésie: ciel bleu, cocotiers et pavillons aux toits de palmes sur pilotis posés sur le lagon aux eaux transparentes ! Une photo qui finira comme fond d'écran sur nos ordinateurs sans doute !


Polynésie : île de Moorea (Temae Reef)

Nous commençons nos recherches par le récif barrière de Temae, le seul qui soit accessible depuis le bord, depuis la très belle plage de sable blanc bordée de cocotiers. Cependant le résultat est consternant: Il n'y a rien, c'est un véritable désert malacologique, et de plus nous devons affronter un fort courant. Nous trouvons peu de cônes, dont un Conus canonicus, deux Conus imperialis, un Conus lividus, et quelques Conus textile, bref rien que nous n'ayons déjà rencontré et seulement 10 individus collectés à quatre ! Malgré tout, ces quelques échantillons viennent peu à peu enrichir la collecte, nous devons en effet disposer de suffisamment d'individus de chaque espèce. Cependant il est frustrant de ne trouver que si peu de cônes et après trois heures de lutte contre un fort courant nous retournons au bord pour un pique-nique rapide sous la pluie tiède de Polynésie. Le temps est gris, il pleut fort, et nous reprenons la route un peu déçus.

Après quelques kilomètres, le soleil fait une timide apparition et nous stoppons le véhicule au hasard sur le bord de la route à côté de l'Hôtel Hilton (anciennement Sheraton). Pierre et Fred fouillent le récif frangeant ainsi qu'une partie du lagon et Michel accepte d'accompagner David au récif barrière à un kilomètre du bord. Le courant est de nouveau présent et il leur faudra 30 minutes de nage forcée pour rejoindre le récif. Mais déception en arrivant : le courant est tellement fort et les vagues si nombreuses qu'il ne tiendront pas longtemps face aux éléments… Dix minutes de collecte et quelques cônes (C. textile, C. distans, C. canonicus) puis traversée du lagon en sens inverse. Beaucoup d'efforts pour peu de résultats. En fait près du récif frangeant la collecte de nos scientifiques est meilleure: Conus vitulinus, C. leopardus, C. ebraeus, C. chaldeus sont découverts, bien cachés entre des coraux recouverts d'algues. Il faut avoir le coup d'œil et Pierre qui a longuement fouillé les coraux près du bord est satisfait: il a réussi a repérer pas mal de cônes complètement dissimulés dans le décor, au milieu de débris de corail. Seule leur forme triangulaire les distingue un peu de leur environnement; Il a maintenant bien le coup d'œil, bien que David et Michel arrivent toujours à faire mieux en raison de leur expérience.

Nous terminons par une pause café et l'achat de quelques souvenirs avant de reprendre le ferry. Si la journée n'a pas été très fructueuse et le temps plutôt maussade, nous aurons cependant eu l'occasion de découvrir Moorea, une perle aux paysages extraordinaires. Il faut maintenant disséquer les cônes récoltés aujourd'hui ainsi que ceux d'hier soir. Encore une journée à rallonge…

Vendredi 3 mai

                Aujourd'hui pas de collecte. En effet de nombreuses tâches annexes nous attendent et nous devons rester a Papeete. Nous commençons la journée au laboratoire par les dissections du reste des échantilons des jours précédents, et nous accueillons un reporter-cameraman de la chaîne TNTV pour une nouvelle interview, notre deuxième passage à la télévision en quelques jours ! Puis vers 11h00 rendez-vous à Papeete avec les représentants des autorités: Madame Tea Frogier Déléguée à la Recherche pour le gouvernement de Polynésie et Monsieur Eric Clua pour la Direction à la Recherche et à la Technologie. Ce sont eux qui ont facilité notre venue en traitant notre demande d'autorisation et nous ont apporté leur soutien administratif. Nous échangeons sur le programme VENOMICS pendant une heure dans une ambiance très cordiale. Décidément notre mission recueille un intérêt fort de la part de toutes les acteurs de la science en Polynésie ! Après un déjeuner rapide en compagnie de notre hôte de l'IRD Sylvain Petek, retour au labo et préparation par Fred et Pierre de leurs interventions pour la conférence prévue le soir même à l'Université de Polynésie.

A 17h00, nous sommes accueillis par Taivini Teai, un collègue de l'Université et Fred et Pierre font une présentation de VENOMICS et de leurs travaux scientifiques devant une audience éclectique, incluant de nombreux non-spécialistes. Les questions fusent à la fin de la conférence et ce sera un moment très agréable pour nos deux conférenciers. De plus cela nous donne l'occasion de rencontrer quelques passionnés locaux de coquillages, avec qui nous prenons date pour une réunion "malacologie" ainsi que pour la capture de cônes que nous n'avons pas encore trouvés. Tout le monde semble disposé à nous aider.

 

Samedi 4 mai

                Rendez-vous à 08h00 à Pueu avec Michel et Patrick pour une nouvelle sortie bateau sur un des nombreux récifs de la presqu'île. Mais frayeur, une fois le bateau à l'eau, le moteur ne démarre pas. Après de multiples tentatives et de nombreux coups de grattoir assénés sur le moteur par nos as de la mécanique, Michel réussit finalement à lancer le moteur à la main grâce à la corde de secours… Ouf, nous pourrons aller collecter mais petite inquiétude pour la suite: le moteur redémarrera-t-il ?

La mer est assez calme mais le courant toujours violent. Pierre montre une motivation extrême ce matin et il est pour la première fois le premier à l'eau ! Puis il part avec Fred pour le sommet du récif dans le but de trouver d'autres spécimens de Conus vexillum. En effet nous n'avons pas assez d'échantillons de ce cône magnifique mais difficile à trouver. David préfère rester en retrait dans la zone des 1 à 2 mètres et fouiller le dessous des plaques de corail mort en quête du rare Conus magnificus. Ce n'est pas la priorité de la mission mais il faut que sa passion de collectionneur puisse être satisfaite de temps en temps; ne trouver que les espèces communes est assurément frustrant à la longue et il part donc a la recherche du cône rare. La zone est assez riche et certaines espèces peu communes y sont présentes, comme Conus canonicus et Conus episcopatus. David trouve également un Conus pertusus fraîchement mort, mais dont la lèvre est cassée, puis un spécimen juvénile vivant avec sa couleur typique rouge et jaune. Il rencontrera aussi Cypraea scurra, C. fimbriata, C. helvola et C. maculifera vivantes, C. bistrinotata et C. goodalli mortes, C. poraria fresh dead, ainsi qu'une jolie Harpa amouretta fresh dead et une Mitra aurora tout juste morte. Peu avant de remonter sur le bateau c'est un petit Conus retifer mort qu'il découvre. Et bien sur les espèces de CONIDAE communes sont présentes aussi et le nombre de nos échantillons croît un peu plus chaque jour, nous permettant déjà d'atteindre des quantités suffisantes pour certaines espèces. Nous trouvons en effet Conus imperialis, C. lividus, C. rattus, C. distans, C. flavidus, C. textile, C. sanguinolentus, C. miliaris, C. miles et C. lithoglyphus sur ce site assez riche..

Fred finira lui par débusquer un magnifique Conus vexillum et Michel un Conus terebra de taille moyenne. Il faut rentrer mais hélas, au moment de relancer le moteur, rien ne se passe… Le démarreur ne répond toujours pas et les tentatives de redémarrage à la corde se soldent par un échec, malgré 15 minutes d'efforts intenses de Fred et Michel. Nous ne sommes qu'a quelques centaines de mètres du bord donc pas en danger, mais le port est assez loin, pas question de rentrer avec une seule rame ! Que faire ? Et c'est là que le fait d'être à Tahiti prend toute sa valeur. Ici tout le monde se connait et l'île est petite. Patrick dégaine son téléphone portable et appelle un copain dont la maison se trouve… juste en face de nous ! Le copain (un autre Patrick) sort de chez lui et nous pouvons même le voir. Il accepte donc gentiment de sortir son bateau pour venir jouer les remorqueurs. Quelques minutes plus tard nous voici tirés doucement vers le petit port de Pueu sous un soleil éclatant. Ce ne sera donc qu'une petite mésaventure, due à une batterie défaillante. Merci à Patrick qui nous a secourus avec beaucoup de gentillesse et de bonne humeur en ce samedi matin et a ainsi sauvé notre journée ! Nous repartons donc vers Papeete, au milieu des voitures empanachées d'orange ou de bleu et blanc: c'est le week-end des élections présidentielles en Polynésie et les cortèges de pickups créent des bouchons. Ambiance festive et bonne enfant créée au bord de la route par les partisans des deux camps. On est loin des manifs Françaises !

Après un bon déjeuner au snack local, nous quittons définitivement Patrick que nous ne reverrons pas pendant ce séjour. Il est toujours émouvant de se retrouver après de longues années puis de se quitter de nouveau, nous avons tant d'histoires à nous raconter ! Mais nos chemins se croiseront forcément de nouveau.

De retour à l'IRD dans l'après-midi, nous traitons nos échantillons et rangeons nos affaires car demain matin c'est déjà le départ pour l'archipel des Tuamotu et Makemo.

Dimanche 5 mai

                Lever 04h00, c'est rude ! Fred et Pierre partent à l'aéroport enregistrer au service Fret d'Air Tahiti les deux malles contenant le matériel de laboratoire, puis reviennent chercher David et le reste des bagages. Nous ne voyageons pas léger même si nous laissons quelques affaires à Papeete. Michel nous rejoint à l'aéroport et après une pause café nous partons pour 3 heures de vol en direction de l'atoll de Makemo. L'arrivée est fort sympathique et nous sommes accueillis par Ludo (Ludovic Berne) de la pension ScubaMakemo et ses colliers de fleurs. L'aéroport de Makemo est un minuscule bâtiment, et l'ambiance tient plus du quai de gare de province que du trafic aérien que nous connaissons d'habitude ! Nous sommes vraiment au bout du monde ici: l'atoll mesure 35 km de long, mais ce n'est en fait qu'une étroite bande de corail circulaire avec une partie habitable sur l'un des côtés, où est posé un minuscule village. Une fois le fret chargé dans la Land Rover de Ludo, nous grimpons à l'arrière sur des bancs en bois et prenons la route. Dépaysement assuré, à côté de Makemo, Papeete fait figure de grande métropole ! 11 km de route plus tard nous arrivons à la pension tenue par Ludo et Brigitte. Leur maison est au bord du lagon, et plusieurs maisonnettes en bois accueillent les visiteurs; Pierre s'installe dans la sienne, superbe chambre sur pilotis et David et Fred prennent possession de leur cabane perchée. Michel aura droit au bungalow laboratoire. Nous sommes à 10 mètres du bord du lagon, sous les cocotiers. Notre hôte nous sert des noix de coco fraîches, juste ouvertes avec une paille dedans. Quel bonheur ! Un rêve…

Après un déjeuner rapide, nous partons en ce début d'après-midi sur le platier qui se trouve de l'autre côté de la route, face à notre pension. La bande de corail qui constitue l'atoll est très étroite et nous n'avons que 100 mètres à faire à pied pour rejoindre le récif. Aux Tuamotu le récif est la partie la plus riche et c'est là que se cachent les trois espèces que nous souhaitons récolter ici: Conus retifer, Conus tulipa et Conus catus, ces derniers étant très rarement récoltés vivants à Tahiti.
 


Conus retifer  from Makemo

Comme souvent aux Tuamotu, il y a très peu d'eau, on peut à peine nager, et les rares blocs à soulever pèsent très lourd (ce sont en fait des morceaux de la dalle), il faut ensuite se baisser et avec le masque regarder s'il y a quelque chose dessous. Rien à voir avec la recherche dans les lagons de Tahiti ! En plus le courant et les vagues ne nous aident pas dans notre labeur. Il faut aussi se méfier des dizaines d'oursins qui parsèment le récif et des murènes qui n'aiment pas qu'on les dérange.

Nous trouvons cependant des dizaines de Conus ebraeus de petite taille, Conus sponsalis, C. nanus, C. rattus, C. lividus, C. sanguinolentus et C. miliaris ainsi que quelques Conus chaldeus plus rares. Les porcelaines communes sont bien là également, on peut noter la couleur blanche de la plupart des Cyprea moneta et David tombe sur une toute petite porcelaine vivante Cypraea oryzaeformis. La récolte est donc plutôt bonne; en effet pour des espèces comme Conus ebraeus, nous avons besoin de pas mal d'individus, le cône étant de petite taille. De lame façon, Conus chaldeus n'est jamais abondant et chaque individu collecté vient accroître notre échantillonnage, pour nous permettre enfin d'effectuer nos analyses génétiques lorsque nous aurons plusieurs cônes. La petite taille du conduit venimeux dans ces espèces nous obligera en fait à disséquer pas mal d'animaux pour accumuler assez de tissu. Chaque cône compte donc à ce stade.
 


Conus tulipa (Makemo)

 

David a ensuite la chance de trouver son premier Conus retifer vivant ! Il en avait trouvé un fresh dead sur l'atoll de Fakarava il y a quelques années mais jamais de spécimen vivant. Il est donc aux anges et en profite pour faire des clichés de l'animal avec son boitier IKELITE. Pour Fred et Pierre, c'est une nouvelle espèce, tout le monde est donc content, mais il nous faut trouver d'autres individus. Après deux heures de recherches sur le récif, nous retraversons la route et nous passons ensuite 1h30 dans le lagon face à la pension. Très pratique ! Le biotope est différent: un fond sableux et de gros blocs de corail avec pas mal d'algues. Les cônes sont plus difficiles à trouver mais nous récoltons des Conus ebraeus, des Conus miliaris et Conus sponsalis tous de très grosse taille, ainsi que quelques Conus pulicarius. Ce qui est incroyable c'est que sous chaque plaque de corail mort il y a des dizaines de porcelaines (Cyprea moneta, C. obvelata, C. caputserpentis pour l'essentiel). David croise un joli nudibranche et quelques Cymatium mundulum et Michel quant à lui, récolte un gros Conus vitulinus.

 

Conus retifer de Makemo

 

Pierre tient à jour l'inventaire quotidien des espèces et le nombre d'individus récoltés et comme chaque jour depuis Tahiti, nous remettons à l'eau plus de 30 cônes, après avoir comparé nos récoltes et fait le tri. A ce jour ce sont déjà plus de 150 animaux qui ont ainsi été replacés dans leur biotope. Inutile de dépeupler inutilement le récif et surtout d'accumuler trop de matériel. Les technologies dont nous disposons nous permettent de travailler avec un nombre limité d'individus même si nous gardons une marge de sécurité. Et cela limite d'autant la charge de dissection quotidienne ! Nous avons appris la leçon de la mission de Mayotte lors de laquelle Fred et Pierre ont mené des marathons de dissection quotidiens allant jusqu'a disséquer 5 à 7 heures d'affilée pour traiter tous les échantillons !

 

Un joli nudibranche de Makemo

 

Ici nous avons installé un labo de campagne sur une table à l'abri de l'un des bungalows et le travail se fait le soir à l'extérieur, à la lueur de lampe de bureau. Ambiance "mission" garantie !

Lundi 6 mai

                Ce matin, il faut d'abord s'assurer que nos malles pourront repartir. Fred et Pierre enfourchent donc des vélos pour une visite à POUHEVA, le petit village de Makemo. Fred est un cycliste chevronné qui parcourt des milliers de km par an, il est donc dans son élément et part en tête alors que Pierre ne monte sur son VTT que de temps en temps a un peu de mal avec le rétropédalage en tongs ! Mais c'est une balade formidable, entre les cocotiers. Tout le monde nous sourit et nous dit bonjour, nous croisons les enfant qui se rendent a l'école à 06:30 le matin, et l'ambiance est si agréable ! Nous trouvons le "bureau" d'Air Tahiti, en fait une petite pièce dans une maison privée, puis allons faire quelques emplettes à la supérette locale. Quelques étagères offrent les produits de base. Arrivée des légumes en fonction de l'avion tous les deux jours. Là aussi on se sent au bout du monde… Nous referons chaque jour durant notre séjour cette balade pour le ravitaillement avec plaisir et Fred s'offrira même le plaisir d'un aller-retour express à l'aéroport sur son vélo trop petit. La météo le change de celle de la région Parisienne !

De retour à la pension, nous retrouvons Lucien, un Paumotu que Michel connait bien, et il nous emmène à bord de son pick-up le long du récif entre notre gîte et l'aéroport. Nous essayons trois spots différents, tous comparables à celui de la veille: pas d'eau, de gros blocs denses et lourds… Lucien utilise un long pied de biche pour soulever les blocs. C'est un ramasseur chevronné et il est d'une rare efficacité. Malgré la difficulté de la tache, nous trouvons donc de nombreux Conus tulipa, tous plus beaux les uns que les autres, en compagnie de Conus catus. Plus rare, Conus retifer est aussi collecté et tout le monde est content de sa pêche. En effet ces espèces sont nouvelles, à la fois pour notre inventaire en Polynésie et aussi dans notre collection globale pour VENOMICS. Elles seront donc bientôt analysées dans le projet et complèteront notre panel d'échantillons. Michel et David recherchent le très rare Conus auratinus mais sans succès. Michel ne trouvera que deux spécimens morts en mauvais état. Lucien est très productif: il a une grande habitude de la collecte des coquillages et des cônes en particulier, il connait bien les différentes espèces et leurs biotopes et pendant que nous cherchons en vain, il ramasse plusieurs Conus tulipa ainsi que d'autres cônes. Il sera tout au long de notre séjour à Makemo d'une grande aide et sa contribution contribuera grandement à la réussite de notre mission.
 


Conus catus (MAKEMO)

 

A 13h30, Ludo nous emmène plonger en bouteille dans la passe. L'eau est claire mais le ciel nuageux empêche cependant les coraux d'arborer toutes leurs couleurs. Nous descendons a -20 mètres et c'est un jardin de corail au-dessus lequel nous glissons. A la descente nous sommes enfin accueillis par un petit requin pointe blanche de lagon que Pierre filme avec sa camera GOPRO.

En s'approchant de la passe, le courant devient fort et nous croisons un requin gris massif ainsi qu'un gros poisson napoléon. Nous dérivons doucement le long du tombant, en suivant le courant et malgré de nombreuses tentatives de fouilles dans les rares poches de sable, aucun cône ne sera découvert, il faut dire que le biotope ne s'y prête pas du tout. David finit par mettre la main sur un vieux Conus legatus abîmé d'une quarantaine de millimètres, indication que l'espèce est belle et bien présente à Makemo. Ce sera une belle plongée et nous remontons doucement sur les jardins de coraux en évoluant dans des bancs de poisson multicolores.

Les dissections s'enchaînent une fois de retour à la pension et Fred et Pierre battront aujourd'hui leur record avec presque trois heures de travail et plusieurs dizaines de cônes disséqués. Nous récupérons de cette journée en dégustant le poisson cru cuisiné par Brigitte, qui est un véritable cordon bleu. Tout au long de notre séjour elle nous régalera de plats de poisson remarquables, cuisinés avec les produits locaux et produits en des quantités énormes destinées à rassasier quotidiennement un pack de collecteurs de cônes affamés !

A 19h00 il fait déjà nuit noire, et nous allons nous coucher. Ici on se couche tôt et on se lève à l'aube ! Mais un vent violent perturbera le sommeil de Fred et David dont la maisonnette sur pilotis tremble parfois avec les rafales. Michel et Pierre quant à eux n'ont toujours pas de problèmes de sommeil !

Mardi 7 mai

                Ce matin nous partons avec Lucien à bord de son bateau vers un nouveau spot de collecte près de la passe de Makemo. Nous devons de nouveau marcher et soulever de gros blocs très lourds puis nous pencher avec un masque pour espérer ne pas rater de cône. Pas très facile comme mode de collecte, c'est pénible alors dès que nous le pouvons nous essayons de nager ! Certains d'entre nous essaieront de barboter dans 20 à 30 cm d'eau. Le ventre racle les coraux, heureusement que nous sommes en combinaison néoprène !

Nous trouvons en plus des espèces courantes, Conus retifer, C. tulipa, C. vexillum, C. catus, C. distans et surtout C. coffeae. Ce sera Pierre qui en fait aura déniché le premier spécimen. Malgré son expertise limitée dans la détermination des espèces il a compris au premier regard qu'il s'agissait de quelque chose de nouveau, pas encore collecté. Ce sera confirmé par David et Michel et nous sommes tous contents d'avoir déniché ce cône peu commun. Nous le retrouverons à plusieurs reprises par la suite ce qui permettra d'ajouter encore une nouvelle espèce à notre liste d'échantillons pour VENOMICS. En s'aventurant à la nage sans palmes sur le dessus immergé d'une petite partie du récif, David trouve un beau et gros Conus episcopatus. Déjà 1h30 de fouilles, mais le bilan est mitigé et nous décidons de changer d'endroit.

Avec le bateau, nous changeons rapidement de spot car Lucien connait un autre endroit susceptible d'abriter Conus episcopatus, espèce dont nous n'avons collecté que peu d'individus à Tahiti. Première surprise de taille, nous pouvons enfin nager ! Il y a entre un et deux mètres d'eau, et de nombreux morceaux de corail à soulever, le biotope ressemble aux coins à C. canonicus et C. episcopatus des Seychelles. Nous évoluons durant deux heures au milieu de myriades de poissons, l'eau est limpide, les coraux splendides, que du bonheur. Le bord du tombant grouille de vie et les bancs de poissons vont et viennent, mais impossible de dépasser l'aplomb, car le courant sortant est vraiment trop fort. Effectivement nous trouvons Conus episcopatus et Conus canonicus. Quelques spécimens supplémentaires de Conus coffeae sont de nouveau récoltés, l'espèce est quand même plus fréquente ici qu'à Tahiti. Après 3h30 de fouilles nous rentrons manger un sandwich à la pension, le tout sans ôter nos combinaisons car nous repartons plonger l'après-midi avec Ludo et Lucien comme skipper.

La plongée se fera avec le courant sortant et de fait nous longerons le tombant sur la passe. Pas mal de poissons, un gros requin nourrice caché dans une faille, de jolis napoléons, et une raie aigle font de cette plongée un émerveillement de plus. Malgré le courant, David parvient à fouiller de nombreuses vasques de sable et à retourner pas mal de morceaux de corail mort mais rien y fait, aucun cône n'est repéré. Il trouvera malgré tout une jolie Cypraea teres alveolus fraîchement morte sous un bloc de corail mort ainsi que deux Cypraea scurra indica.

Pendant notre absence, Michel a fait un tour sur le récif, histoire de ne pas rester inactif. Etre à Makemo est une chance et nous ne resterons jamais sans rien faire durant ces 4 jours; Chaque minute de libre sera consacrée soit à la collecte soit au traitement des échantillons et Michel qui ne souhaitait pas plonger cet après-midi n'a pas dérogé à la règle, en allant voir ce qu'il pourrait trouver. Nous le rejoignons à la fin de notre plongée pour une heure de recherche supplémentaire sur le platier: impossible de résister à l'appel de la chasse au cône ! Nous récoltons toujours quelques individus supplémentaires appartenant à des espèces déjà collectées et Michel trouvera un Conus tenuistriatus mort, une espèce vraiment peu courante.

Après une telle journée, il faut encore passer près de 2 heures à disséquer, comme tous les après-midi, avant un dîner et un repos bien mérités.

Mercredi 8 mai

                Ce matin plongée bouteille à 08h00 sur la pente externe en amont de la passe, pour avoir le temps de désaturer avant de prendre l'avion demain. David et Michel espèrent pouvoir enfin plonger sur un fond détritique afin de pouvoir chercher de nouvelles espèces de CONIDAE. Ils décrivent leur "spot idéal" à Ludo qui nous emmène sur le récif externe. Aujourd'hui Brigitte nous sert de guide. Mais dès la mise à l'eau, le constat est sans appel: ce ne sera pas une "plongée coquillages". Le fond est composé uniquement de corail vivant. La visibilité est remarquable, près de 40 mètres probablement, le courant très modéré. Nous plongeons vers -15 mètres entre des crêtes de corail perpendiculaires au récif, séparées par des petits chenaux de sable. C'est féérique, l'apesanteur de la plongée nous permet tour à tour de survoler les crêtes pour plonger ensuite entre les massifs de corail, au milieu des poissons. Ce n'est pas un spot à coquillages mais c'est une plongée magnifique. En levant la tête nous pouvons apercevoir à distance nos compagnons de plongée suspendus au milieu de l'eau cristalline, leurs panaches de bulles se détachant sur le fond bleu. Instant magique…

Pierre est aux anges avec sa GOPRO, il évolue dans les bancs de poissons, filme les napoléons, évolue lentement dans les éperons-sillons du récif en compagnie de Fred, bref c'est un poisson parmi les autres… ou dirons-nous un poisson-pierre ! Mais côté cônes, David ne trouve qu'un morceau de Conus auratinus… la misère. Seul Fred trouvera un cône vivant, un Conus distans.

L'après-midi nous décidons de compléter nos récoltes et retournons au récif barrière avec Lucien. Le premier arrêt ne donne rien, il ne faut pas plus de 15 minutes de fouilles pour s'apercevoir qu'il n'y a pas de mollusques. Nous changeons de zone, nouvel arrêt un ou deux kilomètres plus loin, et là dès les premiers blocs (toujours aussi lourds) nous trouvons des cônes, c'est bon signe. Rapidement les espèces de récif sont trouvées : Conus retifer, C. tulipa, C. catus et C. coffeae. Lucien découvre un magnifique Conus retifer de taille importante pour les Tuamotu avec des motifs magnifiques. Interdit de le casser celui-là ! Pour sa part David découvre quatre Conus tulipa sous la même grosse dalle. Et les specimens de Conus coffeae que nous découvrons sur ce spot sont énormes pour la Polynésie. Comme tous les jours maintenant nous laissons sur place de nombreux cônes.

Il est remarquable de noter que malgré l'apparente homogénéité du récif le long de l'atoll, des spots a priori semblables du point de vue du biotope, présentent une biodiversité variable. Nos collectes l'ont montré: si les espèces trouvées sont les mêmes, leur abondance varie selon des facteurs impossibles à déterminer par la seule observation du récif. Il est clair que tous les endroits du récif ne sont pas équivalents. Il est également intéressant de noter que l'abondance des cônes est remarquable sur ces atolls: dans quelques centaines de m2; il est possible de trouver 30 à 40 gros Conus tulipa ou Conus catus. L'atoll faisant 35 km de long, cela laisse entrevoir une taille de population assez gigantesque, même en prenant en compte l'hétérogénéité apparente de la distribution spatiale des animaux.

Retour au labo de campagne, photos et dissections. A l'issue de la soirée, Pierre notre chirurgien en chef, retirera de la main gauche de David pas moins d'une dizaine d'épines d'oursins avec l'aide de sa pince à dissection DUMONT et de sa loupe binoculaire ! Comme quoi il peut parfois être utile de savoir disséquer des micro-animaux…

Jeudi 9 mai

                Aujourd'hui plus de collecte malheureusement, il faut tout remballer et la matinée est dédiée au rangement des affaires. Nous faisons nos adieux à Lucien, qui est devenu membre à part entière du team VENOMICS, et nous prenons congé de Brigitte qui nous remet à chacun un énorme collier de coquillages fabriqué par les enfants du village; Ce sera un précieux souvenir et celui de Pierre, particulièrement volumineux, trône maintenant au-dessus de son bureau. Dernières photos de famille et départ pour le microscopique aéroport de Makemo vers 12h00. Nous y enregistrons nos bagages dans un aéroport désert, utilisons le pèse-bagage pour nous peser, et faisons nos adieux à Ludo qui nous a accompagnés. En attendant l'avion, Pierre fera la connaissance sur le bord de la route connaissance d'un "gang" de joyeux drilles plutôt éméchés, venus accompagner leur copain à l'aéroport. Discussion et photos de groupe… Un happening rigolo et bon enfant. C'est toute l'hospitalité et la douceur de vivre de la Polynésie…

Après un vol calme, retour à Tahiti en milieu d'après-midi, nous retrouvons la "civilisation", et en arrivant de Makemo, nous avons l'impression de retrouver une grande métropole. Décalage.

Nous apprenons en arrivant que Jean-Luc Piart, un des collectionneurs locaux, a gentiment récolté pour nous plusieurs Conus leopardus ainsi qu'un Conus virgo dans le lagon près de chez lui à Paea. Il nous l'avait proposé lors de notre rencontre à la conférence faite à l'université et ces espèces nous manquaient; c'est donc une excellente nouvelle. Michel, qui a le sens du devoir et du travail bien fait, et qui était en route pour la presqu'île n'hésite pas à faire demi-tour pour nous ramener les spécimens à l'IRD au prix d'un énorme détour. Nous attaquons donc une dissection imprévue alors que Pierre est interviewé par une journaliste des NOUVELLES DE TAHITI, l'un des deux quotidiens locaux. Ca y est, la pression remonte dès notre retour de Makemo !

Vendredi 10 mai

                Pour cette dernière matinée de collecte, nous avons rendez-vous à Papara avec Florent Tintillier, étudiant à l'IRD que nous avions rencontré avant de partir à Makemo. Il nous a promis un spot plus riche en biodiversité et nous emmène faire du P.M.T. dans une partie du lagon, au bord d'une somptueuse plage de sable noir. Vue dégagée, ciel bleu, mer d'huile: temps idéal après deux semaines de pluie, vent et ciel gris. L'endroit est riche et vivant et les poissons sont très nombreux. De grosses patates de corail forment un immense labyrinthe dans lequel nous évoluons en direction du récif. Murènes, poissons multicolores et invertébrés sont abondants. Nous croisons aussi de nombreuses "taramea" (Acanthaster planci), ces étoiles de mer épineuses prédatrices de corail, en train de dévorer les madrépores. Visiblement une campagne d'éradication est prévue sous peu dans la zone. En tout cas le corail est bel et bien vivant, l'écosystème riche et c'est un bonheur pour les yeux.

Le lagon possède de nombreuses zones sablonneuses qui permettent à David de pister une quinzaine de térèbres venimeuses, grâce aux sillons laissés dans le sable par les mollusques. En effet c'est l'objectif majeur de la journée fixé par nos deux scientifiques: compléter la collecte des cônes par celle de quelques térèbres, dont le venin sera différent. Les deux espèces présentes sont Terebra guttata et Terebra subulata. La zone abrite aussi le majestueux Conus striatus en bonne quantité, une espèce que nous n'avons que rarement croisée jusqu'alors, et de gros Conus textile qui dorment sous les plaques de corail mort. Pierre met la main sur un très joli Conus canonicus qui montre le dessin de Conus textilinus des Marquises sur son ventre. Et enfin sous une énorme plaque de corail mort, David découvre deux Conus striatus en compagnie de deux Conus textile ! Incroyable ! C'est un grand moment partagé avec ses compagnons et immortalisé par une vidéo. A part une petite frayeur pour Pierre dont la GOPRO a été emportée par une grosse vague, mais vite retrouvée sur le fond, c'est donc une merveilleuse dernière journée. La collecte aujourd'hui nous a permis à la fois d'atteindre notre objectif et de compléter notre échantillon de Conus striatus grâce à l'aide de Florent et à son spot préservé. 100% de réussite !

De retour à l'IRD, nous dissèquerons notre petite récolte du jour, puis Michel, descendu une fois de plus de sa presqu'île, nous rejoint. Michel et David partent ensuite à une réunion "collectionneurs" au domicile de Vincent Wargnier, à laquelle participent Jean Letourneux, Jean-Luc Piart et son fils Teiva ainsi que Christian Beslu. David en profite pour remercier Jean-Luc de vive voix pour son aide précieuse, puis les deux compères partent pour la presqu'île, pour passer une soirée entre collectionneurs.

Samedi 11 mai

                Pendant que Pierre et Fred, après avoir rangé le matériel de laboratoire en vue du départ demain, visitent Papeete et son marché pour quelques emplettes, Michel et David partent pour une dernière collecte entre passionnés sur l'un des récifs de la presqu'île. Ils sont à l'eau à 08h00, la mer est très calme et le courant absent. Ils trouveront à nouveau ce matin la plupart des espèces de récif comme Conus lividus, C. sanguinolentus, C. vitulinus, C. lithoglyphus, C. canonicus, C. imperialis, C. rattus ainsi qu'un Conus episcopatus. David trouvera aussi plusieurs petites Harpa amouretta, de nombreuses Cypraea fimbriata, trois Cypraea punctata trizonata et Michel quelques Cypraea teres vivantes. Quatre heures et demi plus tard, il est temps de retourner au bateau. Sur le chemin du retour en soulevant un bloc de corail mort, David découvre un cône d'une espèce peu fréquemment rencontrée vivante: Conus cylindraceus. C'est d'ailleurs la première fois de sa vie qu'il récolte ce cône et c'est pour lui le point d'orgue de deux semaines fructueuses. Bien que la vue de ce cône, petit mais joli ne suscite pas l'émotion des grands jours chez les scientifiques, nous sommes tous contents que David ait pu ajouter ce spécimen à sa collection.

Il faut maintenant faire les bagages en vue du départ demain matin. Les 40 kg de matériel de labo reprennent leur place dans les caisses, les valises sont bouclées. Allez, pour ce dernier soir nous allons au restaurant déguster un dernier plat de poisson en compagnie de Michel et lui faisons nos adieux avec émotion. A la prochaine…

Dimanche 12 mai

                Nous quittons à regret Tahiti à 07h50 pour un long voyage… plein de souvenirs en tête ! Les 20 heures de vol paraitront longues mais nous avons tous en tête les retrouvailles avec nos familles et pour Pierre et Fred, la suite: il faut maintenant exploiter ce matériel, préparer les échantillons pour le séquençage, et nous rêvons déjà à la myriade de résultats que nous allons pouvoir générer grâce à cette mission.

Conclusion

                La mission VENOMICS Polynésie 2013 aura donc été un succès total puisque nous aurons pu collecter 38 espèces de cônes vivants et 6 espèces de cônes morts, ce qui porte à 44 le total des espèces recensées sur les soixante-dix que compte la Polynésie. Nous avons donc en 15 jours couvert la majeur partie de la biodiversité disponible, et cela grâce à l'aide précieuse de nos collègues collectionneurs et de nos partenaires locaux. Environ 30 espèces seront exploitables dans le projet VENOMICS, ce qui est au-delà de nos prévisions initiales. Et l'évolution des technologies dans les deux prochaines années pourra sans doute nous permettre d'exploiter également le reste des espèces.

 

Espèces Rencontrées vivantes ( 38 ) : Conus aristophanes, Conus canonicus, Conus catus, Conus chaldeus, Conus coffeae, Conus coronatus, Conus cylindraceus, Conus distans, Conus ebraeus, Conus eburneus, Conus episcopatus, Conus flavidus , Conus frigidus, Conus imperialis, Conus leopardus, Conus litoglyphus, Conus lividus, Conus mcbridei, Conus magnificus, Conus miliaris, Conus miles, Conus moreleti, Conus nanus, Conus obscurus, Conus pulicarius, Conus quercinus, Conus rattus taitensis, Conus retifer, Conus sanguinolentus, Conus sponsalis, Conus striatus, Conus sugillatus, Conus terebra, Conus tessulatus, Conus textile, Conus tulipa, Conus vexillum, Conus vitulinus.

Espèces rencontrées uniquement mortes ( 6 ) : Conus auratinus, Conus bullatus, Conus legatus, Conus nussatella, Conus pertusus, Conus tenuistriatus.

Cependant tout cela ne s'est pas fait sans efforts: levés chaque jour vers 05:00, nous aurons passé au total plus de 40 heures sous l'eau en P.M.T. ou en plongée, souvent dans des conditions rudes, luttant constamment contre le courant, ballotés par les vagues et trainés sur les coraux. Le temps non plus n'a pas été de la partie, bref on est loin du cliché des vacances paradisiaques !

Notre effort de dissection (>20h) aura été efficace, en raison cette année d'une plus grande expérience. Fred et Pierre arrivent tous les deux a disséquer un cône en quelques secondes ce qui nous aura permis d'accumuler plusieurs centaines d'échantillons pour le projet. Enfin le labo de campagne est maintenant bien rodé, entre les missions cônes et les missions '"jungle" en Guyane. Quant à la communication externe du projet elle aura été cette année exceptionnelle puisque nous aurons cumulé en 2 semaines, deux passages à la télévision, un à la radio, une conférence publique et plusieurs articles dans la presse quotidienne dont une pleine page.

 

Mission accomplie ! De merveilleuses images nous resteront en tête et nous garderons en mémoire à la fois l'aide reçue de tous les acteurs qui se sont motivés pour nous permettre de réaliser cette mission dans les meilleurs conditions et l'accueil si chaleureux des Polynésiens. Maruru !!!

Remerciements

Nous tenons à remercier chaleureusement le Gouvernement de Polynésie et sa représentante (Déléguée à la Recherche) Madame Tea Frogier ainsi que Monsieur Eric Clua (DRRT Polynésie) pour nous avoir facilité l'obtention des autorisations de collecte.

Sans l'appui logistique de nos collègues de l'IRD de Polynésie, nous n'aurions pu mener à bien notre travail: merci à Philippe Lacombe, Sylvain Petek, Cécile Debitus, Joël Orempuller et Lisette Florian. Merci également à Taivini Teai pour l'organisation de la conférence à l'Université de Polynésie.

Nos plus sincères remerciements vont également pour leur aide si précieuse et leur amitié à Michel Balleton, Patrick Marti, Florent Tintillier, Jean-Luc Piart et sa femme, et Lucien Ravigaru de Makemo. Nous remercions également pour leur accueil chaleureux (et aussi pour les colliers de fleurs et de coquillage et le merveilleux poisson cru…) Ludo et Brigitte Berne, de ScubaMakemo.